Sacrée Prix RFI Théâtre 2018 et jouée au Festival d’Avignon en 2019, Les Inamovibles est publiée par Sèdjro Giovanni Houansou, un dramaturge béninois de la jeune génération. Réalisée pour rendre hommage à tous ceux qui ont disparu dans la Méditerranée sur la route migratoire Sud-Nord, cette pièce théâtrale, subdivisée en dix (10) mouvements, développe fondamentalement le thème de l’immigration clandestinedont elle se propose le réquisitoire.Qu’en est-il de la toile dramaturgique tissée entre les personnages de cette pièce ?
A propos du contenu
Les Inamovibles s’ouvre sur Malik, un immigrant clandestin, au téléphone, cigarette à la main, sac à dos posé au sol. Après neuf ans en Occident, ce personnage, décloué et décontenancé, appelle sa femme pour luiraconter le récit d’un eldorado aux antipodes du havre cananéen dont il avait rêvé. Partagé entre mélancolie et nostalgie, il se refuse le retour au bercail et s’offre à l’autel des rails d’un train qui l’écrase. Parallèlement, Lamine, un jeune Africain, annonce à sa mère son projet de se rendre clandestinement en Occident afin de gagner sa vie. Celle-ci tente, dare-dare mais en vain, de dissuader son enfant. Ce dernier explique à sa mère sa volonté de gagner sa vie et la rage de réussir qui le poursuit. Il quitte sa mère et se rend au lieu d’embarquement. Une fois sur l’Océan, ses camarades immigrants le poussent et il se met à nager jusqu’à la berge. De leur côté, Amadou, le père de Malik, et Mariame, la mère de Lamine, attendent désespérément le retour de leurs enfants. Lamine est pris par le Post, le représentant de la Police qui lutte contre l’immigration clandestine. Celui-ci se propose de l’aider à condition qu’il soit l’époux de sa fille. Mais Lamine oppose un refus catégorique à cette offre et tente même de briser le bras de Marguerite, la fille de Post, lors de l’émission sur France 25. Post tire donc sur Lamine pour sauver sa fille.
De la dramaturgie à l’inventivité de l’écriture
S’écartant des cloisons classiques qui organisent la pièce théâtrale en des actes et scènes, l’œuvre de Sèdjro Houansou expose des performances stylistiques sur lesquelles repose son originalité. D’abord, la mise en scène des personnages collectifs (première jeunesse, deuxième jeunesse, troisième jeunesse, quatrième jeunesse, première colère, deuxième colère, troisième colère, quatrième colère, Post) et la trame dramaturgique délinéarisée marquent le discours théâtral du jeune dramaturge béninois. Ensuite, le traitement chronotopique des espaces de ceux qui partent (Malik, Lamine, Première colère, etc.) et de ceux qui restent (Mariame, Amadou, Post, Première Jeunesse, etc.) avec pour frontière la Méditerranée correspond à l’organisation graphique du texte (graphie normale et italique). Enfin, l’expression des regrets et des sensations, les jeux de mots et deconstruction font des Inamovibles un véritable guacamole où calembour, chiasme, antanaclase, accumulation et répétition fécondent la poéticité saisissante du style de Sèdjro Houansou.
Portée de la pièce
Hormis le procès de l’immigration clandestine qui semble dominer l’œuvre, des pans et des pages sont consacrés à la conscientisation de la jeunesse africaine. L’échec de Malik et son suicide paraissent moralisateurs et battent en brèche la philosophie du prêtre Moupelo selon laquelle « nul n’est prophète chez soi ». Le cinquième mouvement de la pièce qui présente l’ambiance dans un quartier africain où le rêve des jeunes est l’Europe porte des brins satiriques à travers lesquels le dramaturge révèle l’inconscience, la lecture idéalisée voire stéréotypée de certains jeunes Africains à l’égard de l’Occident. L’assassinat de Lamine, ce jeune rêveur et têtu, s’inscrit aussi dans une visée didactique. Les Inamoviblesest une pièce qui encourage donc non seulement la lutte contre l’immigration clandestin, mais aussi la prise de conscience des Africains. Chez soi, on peut se construire, on peut bien se construire.