Après plus d’un an de recherches effectuées au Bénin sur la transhumance des animaux, la salle de conférence de la Faculté des Sciences Agronomiques (Fsa) a abrité, mardi 23 avril dernier, la séance de restitution de ces recherches. C’est dans ce sens que l’un des chercheurs, Rodrigue V. diogo, a voulu, dans cette interview, revenir sur les risques et l’opportunité de la transhumance pour la production animale, les ressources génétiques animales et les agro-écosystèmes.Le PROGRES : Présentez-vous à nos lecteurs, s’il vous plait !
Rodrigue V. Diogo : Je suis Docteur Diogo, enseignent chercheur à la faculté d’Agronomie à Parakou.
Quel est l’objet de l’atelier qui se déroule actuellement ici ?
C’est de restituer les résultats des recherches que nous avions effectuées au Bénin sur les risques et l’opportunité de la transhumance pour la production animale, les ressources génétiques animales et les agro-écosystèmes. L’objectif principal c’est de faire connaitre les résultats de nos recherches, surtout que la transhumance est une activité qui est souvent rejetée par les communautés. Donc, nous voudrions faire connaitre aux communautés que cette activité n’est pas toujours, une activité destructrice de l’environnement.
Qu’est ce qui vous a motivé à initier ces projets de recherches sur la
Transhumance ?
Il y a plusieurs motivations derrière ces recherches. Il faut dire que, de temps en temps, nous avions constaté qu’il y a pendant le mois de décembre un flux massif d’animaux qui viennent du Sahel. Et ce flux massif d’animaux est tellement important qu’on se demande ce que cela peut constituer comme problème pour nos éleveurs locaux, en ce qui concerne l’utilisation des ressources fourragères et quelles sont les opportunités aussi possibles que cela pourrait créer pour le développement des marchés de bétails et le développement des marchés … et aussi pour la valorisation des réseaux d’échange entre ces acteurs.
Dans le cadre de ces études, dites-nous ce qui motive les éleveurs à déplacer les animaux.
Il y a plusieurs types de déterminants qui motivent les éleveurs à se déplacer ou à faire déplacer leurs animaux. Ils ont plusieurs soucis : d’abord, c’est d’assurer leur survie par une nutrition convenable parce que, si un éleveur se déplace d’un point A vers un point B, c’est sûr que là où les ressources ne sont plus bonnes pour ses animaux, il faut qu’il les déplace pour pouvoir trouver d’autres ressources qui permettent à l’animal d’assurer sa survie… Donc, le premier déterminant, c’est un déterminant nutritionnel qui permet d’assurer la survie et de mieux nourrir les animaux. Le deuxième déterminant peut avoir des buts économiques parce que, quand les éleveurs se déplacent, ils peuvent aussi vendre leurs animaux à des prix très élevés par rapport à leur lieu d’origine. Un autre déterminant qui motive la mobilité des troupeaux concerne le volet social, des événements qui arrivent et qui n’étaient pas prévus (guerres, sécheresse,…). Mais l’élément principal, c’est la survie de ces acteurs impliqués dans cette activité.
De façon générale, vos études ont abouti à quel résultat ?
De façon général, c’est très important qu’on retienne que la transhumance n’a pas d’effet négatif sur l’environnement. C’est vrai que nous avions constaté sur quelques sites qu’il y a une modification de la composition de la végétation. Mais cette modification de la composition de la végétation n’influence pas vraiment, la productivité de cette végétation qui est là. Il y a modification de la composition, les espèces augmentent puisque les animaux viennent d’ailleurs, ils déposent les digestions à un autre endroit, les semences restent là et quand les conditions sont favorables, ils vont germer et donner de nouvelles espèces qui n’étaient pas dans le milieu. Certes, on a constaté qu’avec nos résultats, cela n’affecte pas la productivité de ces écosystèmes. D’autres résultats importants que nous avions obtenus, c’est qu’il y a beaucoup de réseaux d’échanges entre ces acteurs. Lorsque les éleveurs se déplacent vers ici, ils font des échanges de races et ces échanges de races ne sont pas que négatifs. Ils permettent parfois d’améliorer la productivité de nos races. Par exemple, les races Borgou qui sont des races croisées de chez nous, qui ont des productivités plus ou moins acceptables, mais qui pourraient être améliorées lorsqu’on les croise avec des races zébus qui viennent du Sahel. Donc, ce sont des effets positifs. La productivité en viande et en lait est maximisée lorsque nos éleveurs achètent ces races du Sahel et les croisent avec nos races. Il y a un avantage comparatif par rapport à la productivité en viande et en lait de ces animaux. D’autres avantages, c’est qu’on peut profiter des digestions de ces animaux qui puissent être utilisées pour restaurer la fertilité des sols. C’est vrai que à des moments donnés, la mauvaise conduite de ces animaux peut faire en sorte que si l’éleveur n’est pas là pour mieux les guider, cela peut créer un peu de désorganisation ou je dirais la dégradation de l’environnement. Mais les sites sur lesquels nous avons travaillé ou les zones de transhumance et de non transhumance que nous avions prises sont des zones vraiment qui ont été bien sélectionnées de commun accord avec les acteurs (les communautés locales). Ce qui est intéressant est que nos résultats montrent qu’on peut cohabiter avec ses acteurs et ne pas les chasser et ne rentrer tout le temps en conflit avec eux, comme on le voit souvent, ce qui crée des dégâts en vies humaines, en cultures ou même la mort de certaines têtes d’animaux. D’ailleurs, on ne peut pas aujourd’hui parler d’une de ces activités sans référence à l’autre. L’agriculteur aujourd’hui a besoin de la viande, du lait pour se nourrir, de la même façon, l’éleveur a besoin des cultures des céréales. C’est cela même qui fait que parfois, il y a des contrats spontanés qui se font entre eux (ils échangent, la viande, le lait contre le fumier…). C’est vrai quelque fois, il y a des malentendus où quand les couloirs de passage ne sont pas entretenus. C’est très important parce que si les couloirs de passage sont bien tracés, c’est évident que les animaux utilisent ces couloirs de passage et ne rentrent pas (dans les champs). Ce sont donc les cas dans lesquels les couloirs de passage sont bouchés. Les agriculteurs mêmes cultivent sur les couloirs de passage et cela fait que les troupeaux n’ont pas de chemin pour passer. Donc, ils n’ont plus de corridor, sont obligés d’utiliser les champs et de détruire les cultures. Cette activité est gérée de commun accord avec les acteurs impliqués pour que cela soit bien gouverné. La preuve, notre gouvernement a voté en juillet 2018, le Code Pastoral. Si cette activité n’était pas reconnue, on n’aurait pas voté un code pour réguler la conduite de cette activité. Souhaitons vivement que les différents articles qui sont dans ce code soient suivis de près et que chacun joue sa partition.
Rappelez-nous les deux volets de votre recherche Dr.
Le premier volet concerne l’évaluation des risques et opportunité de la transhumance sur la diversité en génétique animale et la production animale. Le second volet concerne l’évaluation des risques et opportunités de la transhumance sur la production animale et les agro-écosystèmes (sur l’environnement).
Après la phase théorique, quelle est la suite à donner aux différents résultats de recherche ?
Après la phase de restitution, nous allons repartir puisque nous avions déjà, chacun de son côté, obtenu des extensions pour pouvoir continuer les travaux. Un des résultats importants, la prolifération des races croisées dans les élevages, presque partout au Bénin.
On se demande pourquoi les éleveurs vont aux races croisées. Est-ce que ces races croisées ont des comportements acceptables par rapport à la végétation ?
Il y aura des études qui vont évaluer l’efficience d’utilisation des ressources par ces races croisées dans les différents élevages que nous avions trouvés. C’est le lieu de rappeler que nous avions trouvé au Bénin six types d’élevage. Si non deux grandes catégories (transhumant et sédentaire), avec trois types d’élevage dans chacune des catégories. Parmi les élevages transhumants, il y en a qui utilisent les races : zébus, taurines, croisées (vont sur de longue comme de courte distance). Parmi les élevages sédentaires, on en a qui ne sont que constitués des races Taurines, zébus ou croisées, mais qui ne sont pas strictement sédentaires qu’on le pense, mais qui se déplacent dans les limites de leur village.
Ces recherches seront-elles déposées au ministère de l’Agriculture de l’élevage et de la pêche ?
Il y aura un document qui sera élaboré et déposé au ministère de tutelle. Je pense que ces recherches seront vulgarisées (pas seulement à l’université), au niveau des décideurs qui vont prendre des décisions pour accompagner la régulation de la transhumance au Bénin.
Un mot pour conclure ?
Je remercie tous ceux qui ont participé au financement de ces recherches. La Fondation Volkswagen, les Universités de Hanovre et de Kassel en Allemagne. Nous remercions sincèrement les éleveurs, agriculteurs et autres qui ont participé à ces études. Ils étaient engagés à nous aider à les aider à trouver des solutions idéales pour la conduite de leurs différentes activités. Sans oublier les Universités de Parakou et d’Abomey Calavi.
Propos recueillis par Gauthier NOUDOFININ